Voilà six mois que je suis entrepreneure à plein temps. Avant ça, j’étais persuadée que rien ne pourrait m’arrêter (ou du moins, me ralentir). Puis la première période difficile m’est tombée dessus comme une brique d’un toît. C’est là que j’ai saisi que la vie d’entrepreneur.re ne serait pas une ligne toute tracée. J’ai compris que je devrais avoir les bagages pour faire face à toutes sortes de montagnes russes ! Nous sommes évidemment beaucoup dans ce cas, j’ai donc récolté quelques uns de vos témoignages. Et comme je me pose mille questions, j’ai rencontré Arnaud D’Hoine pour y répondre. Il est coach, formateur, conférencier, et créateur de Question de Coach. Il connaît bien le sujet des moments difficiles en tant qu’entrepreneur.
Le manège de la vie d’entrepreneur.e : témoignages
“Les périodes de doute s’installent lorsque, malgré vos relances, malgré votre énergie à faire savoir que vous avez des compétences et que vous êtes prêt à travailler, à lancer de nouveaux projets, malgré cet engouement plus rien ne se passe et plus personne ne vous sollicite. C’est psychologiquement dur à gérer pour moi. Ce doute me met dans une sorte de petite déprime où je n’ai plus trop confiance en moi. Je passe par des moments où je me rassure en me disant que ce n’est pas de ma faute, c’est le contexte, mais malgré cela les journées sont longues et pleines de turpitudes. Je deviens progressivement incapable de me relancer et un cercle vicieux s’installe. Il est très difficile d’en sortir. En général, il faut se souvenir que l’on n’a pas toujours été dans cette situation et que l’on est capable de réaliser de nouveaux projets.” – Louis, vidéaste reporter.
« Ça arrive un peu soudainement. Je sais que la météo va jouer sur mon état d’esprit et les périodes de « down ». Forcément, si je suis dans une période où je vais avoir de mauvaises nouvelles à foison, ça ne va pas aider. Mais j’accepte d’avoir des moments comme ça, c’est le jeu de l’entrepreneuriat que d’avoir des hauts et de bas. Et surtout les accepter. Dans ma productivité, je vais être un peu perdue. Je ne vais pas savoir par où commencer ni quoi continuer, la motivation ne sera pas forcément présente. Je me rassure en me disant que c’est légitime d’avoir des interrogations, mais après il faut savoir prendre du recul et continuer coûte que coûte, sinon on se fait manger par ses inquiétudes. » – Mathilde, créatrice d’un e-shop.
« En 6 ans en tant que freelance, j’estime être chanceux car je n’ai eu que deux grosses périodes difficiles. Les deux fois suite à la perte d’un client, soit par manque d’efficacité de ma part soit pour cause budgétaire. Le schéma fut à chaque fois le même : plusieurs jours où je n’arrivais plus à produire, puis venait le moment ou je me disais que je n’étais clairement pas assez bon pour ce métier, que j’étais en train de me tromper de voie. J’en ai parlé avec des amis qui sont du même domaine, et la réponse fut la même à chaque fois : continue à produire pour faire sauter ce blocage. Des clients il y en a partout et on ne peut pas toujours être au top. » – David, graphiste.
A la rencontre d’Arnaud D’Hoine
Après vous avoir lu, je dois dire que je me suis sentie bien moins seule. Et comme vous, j’ai eu besoin de réponse ! Je connais quelques coachs, mais j’ai tout de suite pensé à Arnaud d’Hoine. Nous avons déjà collaboré sur une conférence et un accompagnement. Connaissant son expertise j’ai souhaité lui demander son point de vue et ses conseils !
Raconte-nous, qui es-tu ?
Bonjour et enchanté ! Je m’appelle Arnaud. J’ai 40 ans. Je suis originaire du Nord, d’où la maîtrise du Dany Boon en LV3. Je suis un papa et un entrepreneur. Je suis fan de tatouages, de jeux-vidéo, de bandes-dessinées. J’adore écrire. Je suis un optimiste réaliste. Et je suis convaincu que tous, individus comme organisations, avons un potentiel d’évolution et de changement inexploité la plupart du temps. Par conséquent, j’en ai fait mon métier.
Et si je devais ennuyer les lecteurs avec une présentation professionnelle, je pourrais dire que je suis un ex-responsable RH repenti, ayant embrassé une deuxième vie professionnelle en 2014 en devenant coach professionnel certifié ainsi que formateur, consultant, et plus récemment enseignant et conférencier occasionnel.
Qu’est-ce qui t’a amené à devenir le multi-professionnel que tu es aujourd’hui ?
L’histoire est un peu longue mais cette décision a été l’aboutissement d’un processus sous-jacent, quasiment 15 ans… Je m’orientais vers la communication et le journalisme et j’ai découvert un peu par hasard les ressources humaines et plus particulièrement le recrutement au cours de mes études. J’ai eu coup de foudre pour cette discipline qui à mes yeux était, est toujours, une histoire de rencontres et d’humain.
J’ai eu la chance d’évoluer dans des entreprises extrêmement différentes en termes de taille, d’organisation, de culture, de produits et services. J’ai eu l’occasion d’avoir des « responsabilités » assez tôt dans ma carrière en étant, par exemple, Responsable du Recrutement pour l’Europe du Sud pour une chaîne de magasins sportswear, Directeur des Ressources Humaines d’un petit cabinet de conseil. J’ai également connu une période de chômage relativement longue, et cela a été l’occasion de mettre des mots sur un sentiment diffus que je traînais depuis plusieurs années : à quoi sert mon métier ?
Parce qu’en dépit des satisfactions que cette vie m’a apporté, financièrement, intellectuellement, socialement, j’ai vu plus de ressources que d’humain dans les organisations. Performance et efficacité ne sont pas des gros mots chez moi, bien au contraire. Mais j’ai souvent regretté de ne pas avoir plus de poids pour défendre ma conviction : la performance collective n’est pas antinomique du bien-être individuel, au contraire elle s’en nourrit.
Quand à partir des années 2010, le nombre de burn out a explosé autour de moi, je me suis retrouvé écartelé entre un métier que j’aimais fonctionnellement, techniquement et mes valeurs. Je bossais sur des sujets qu’on appelle désormais la marque employeur, interne et externe, l’employee advocacy, la fidélisation, mais il y avait à mes yeux un écart trop important entre les promesses formulées et la réalité. Du happy washing avant l’heure. Le contrat moral entre l’entreprise et ses collaborateurs me semblait trop déséquilibré.
Au fond de moi, j’ai dit stop. J’ai commencé à faire des erreurs, je me suis saboté et j’ai fini par me faire virer. Passé l’inconfort de la situation, ça a été une forme de délivrance.
Restait à trouver ce que je pouvais et voulais faire. J’ai entamé un bilan de compétences avec un coach, que nous n’avons jamais fait ! Il a senti un truc, m’a demandé s’il pouvait me parler de son métier. Ça a été une révélation, j’ai découvert à 34 ans où était ma place, ou plus exactement ce qu’il me fallait construire pour être bien et redonner du sens à mes actions.
Quels sont tes projets pour 2020 ?
Vu le contexte actuel, déjà survivre économiquement ! N’oublions pas qu’avant cette situation inédite, de nombreux acteurs indépendants comme moi s’inquiétaient déjà en raison de la réforme de la formation professionnelle, perçue à tort ou à raison comme un cadeau aux gros faiseurs du secteur.
Plus sérieusement, je me suis associé en début d’année avec une entreprise lyonnaise, Kumqwat, qui a développé et propose depuis 2 ans une approche d’accompagnement des organisations géniale et unique au monde basée sur l’intelligence collective et le management visuel. Nous avons lancé l’offre sur la Nouvelle-Aquitaine début mars, à destination du secteur public, des organismes territoriaux et du secteur privé et j’en porte le développement sur la région en plus de mes activités habituelles.
J’ai aussi acheté un joli micro pour me lancer dans les podcasts ou la vidéo, mais tout ce qu’il enregistre pour l’instant c’est le bruit de la poussière qui le recouvre progressivement !
Je me pousse aussi à reprendre l’écriture, outre un projet professionnel je me suis lancé le challenge d’écrire un livre pour ma fille.
Plus globalement, je me rends compte que j’ai besoin d’observer, de réfléchir. J’ai l’impression qu’il est peut-être entrain de se passer quelque chose. Ce moment que nous vivons peut-être l’acte fondateur d’un changement de paradigme majeur, une occasion de mettre à jour nos logiciels pour un monde meilleur ou « pas raté », pour citer Axel Lattuada.
Au fond je crois avoir la trouille que rien ne change, que l’homéostasie l’emporte et que tout reste au stade incantatoire. La bonne nouvelle, c’est que ça me conférera un certain volume d’activité. La mauvaise nouvelle, c’est que ça me conférera encore un certain volume d’activité, signe que le monde professionnel aura conservé ses travers.
Quel est ton mantra ?
J’aime beaucoup un vers d’un poème d’Erin Hanson, que j’avais croisé sur une ruine d’un bâtiment de Christchurch, en Nouvelle Zélande :
« – What if I fall?
Oh but my Darling, what if you fly? »
As-tu toi-même traversé une période difficile en tant qu’entrepreneur ?
Le démarrage a été compliqué. Jamais je ne m’étais projeté entrepreneur. Pendant quasiment 15 ans, j’ai essentiellement rempli les objectifs assignés par d’autres et tout à coup je me suis retrouvé devant une page blanche. J’étais heureux et grisé d’avoir enfin cette liberté à laquelle je pensais aspirer mais au fond j’étais surtout satisfait d’avoir refermé un chapitre plus que d’avoir l’occasion d’en écrire un nouveau. Cela a engendré deux problèmes.
D’une part, ma posture et ma communication ont renvoyé l’image de quelqu’un qui avait des comptes à régler avec l’Entreprise. Difficile dans ces conditions de convaincre des prospects de vous faire confiance. Fort heureusement j’ai été soutenu par ma femme qui a su me remettre la tête à l’endroit et me sortir du côté idéalisé de mon métier.
D’autre part l’organisation. Structurer l’activité, la faire mûrir pour qu’elle soit viable financièrement, repartir en formation, s’improviser commercial, financier, communicant, créatif… Je n’étais pas prêt et je me suis un peu perdu en route par manque d’objectifs clairs. On peut s’imaginer une grande liberté dans l’entrepreneuriat mais les contraintes sont énormes.
Entrepreneur.es VS moments difficiles
Quels moments difficiles peut traverser un.e entrepreneur.e ?
La liste est très variée, mais voici quelques exemples dans lesquels pour pourriez vous reconnaître :
- Manque de ventes
- Conflit avec client ou associé
- Défauts de paiements
- Abandon de mission de la part d’un collaborateur
- Développement de la concurrence
- Prêt non-accordé par la banque
- Sentiment de solitude
- Syndrôme de l’imposteur
- Démotivation dans les missions et tâches
- Chômage imposé comme actuellement
- Ghosting des prospects
- Investissement/temps de travail vs famille/temps personnel
- Coût des ressources externes et des outils
- Perte de confiance, risque psychologique
Quelles conséquences, et quels ressentis cela produit ?
La confiance et l’estime de soi sont des enjeux majeurs chez les entrepreneur.es, et il est surprenant de constater que la majorité des accompagnements existant prodigués par les institutions ne le prennent pas davantage en compte.
L’accent est mis sur les outils, les aspects réglementaires, le fonctionnel, mais pas grand-chose n’est fait pour travailler sur le lien qui unit l’entrepreneur.e a son projet, voire à son identité d’entrepreneur.e. Il peut y avoir un fort sentiment d’impuissance, de « à quoi bon? » face aux difficultés. L’important dans ces situations est de pouvoir en parler, de rompre l’isolement. Sinon on peut vite avoir la trouille. Voire pire, s’approprier les trouilles des autres.
Quels sont tes principaux conseils pour prendre du recul quand on est dans une période difficile ?
Ne pas se renfermer. Communiquer, parler de ses difficultés et faire le pari de l’intelligence collective, en rejoignant par exemple un programme de co-développement. Le mentoring ou le coaching peuvent être des solutions viables, à condition d’accepter d’appuyer sur pause. Continuer à serrer les dents, repousser à plus tard la résolution des difficultés est la voie royale pour les voir revenir de manière amplifiée.
Il y a de belles histoires de personnes ayant réussi à réaliser leurs objectifs, leurs visions sans concessions et en dépit des obstacles. Mais au final sont sont-elles si nombreuses ? Apprendre à apprécier les petits pas, savourer les victoires aussi petites soient elles, accepter de re-calibrer ses objectifs, s’accorder le droit au lâcher prise… Ce ne sont pas des aveux de faiblesse, au contraire c’est se donner des moyens supplémentaires de réussir.
As-tu des conseils pour éradiquer le syndrôme de l’imposteur ?
J’en reviens à l’idée des autorisations qu’on s’accorde. Une bonne partie de nos comportements d’entrepreneur.es sont héritées de notre éducation, des modèles externes de référence, de ce qu’on appelle les drivers : sois parfait, sois fort, fais plaisir, fais un effort, dépêche toi.
En l’état, ils ne ne sont ni bons ni mauvais. C’est notre entêtement à maintenir nos comportements vaille que vaille qui peut nous faire perdre pied. Sois parfait est un des plus parlant : en soi le perfectionnisme n’est pas une tare, mais à quel moment la quête de la perfection, dans l’atteinte de l’objectif comme dans la manière, devient-elle bloquante ?
Douter est légitime. Remettre en cause tout ce qu’on fait à cause du regard des autres est dangereux. Outre le fait de s’appuyer et de valoriser les succès, s’entourer de personnes positives est indispensable. Cela évite aussi les comparaisons avec les autres, et donne moins de grain à moudre à l’idée de sur-performance. Chacun.e fait avec ses ressources, et c’est déjà très bien !
Y’a-t-il, en somme, un impact positif à une période de “down” ?
S’il y a un apprentissage, une prise de recul et qu’on accepte de modifier quelque chose dans son fonctionnement, alors oui il peut y avoir un impact positif. Surtout si l’on parvient à ancrer ces nouveaux comportements et à appréhender une forme d’agilité face à ces situations. La résilience est une des clés des entrepreneur.es, accepter et intégrer l’idée même qu’il y ait des périodes difficiles sans que cela traduise un défaut ou une faiblesse personnelle est indispensable.
As-tu des astuces à nous conseiller pour “garder le cap” ?
Être au clair sur le « pour quoi », le sens donné au projet. A ne pas confondre avec le pourquoi, la ou les raisons historiques, personnelles, qui ont amené à cette situation. Se focaliser sur le positif, identifier les mécanismes opératoires d’excellence et adopter une démarche se rapprochant de l’appreciative inquiry : plutôt que de vouloir corriger à tout prix ce qui n’a pas marché, essaimer les points positifs. L’idée est de s’éloigner de la rumination, des cogitations et de la dépréciation. Et par conséquent, se donner des autorisations pour satisfaire ses besoins, ses envies, afin de garder une perception positive de soi.
Merci beaucoup pour tes conseils, Arnaud ! J’espère qu’ils pourront apporter des lumières aux chemins de nos lecteurs.trices. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à contacter Question2Coach ! Retrouvez également Arnaud sur Facebook et Linkedin.
En attendant, prenez soin de vous !
Laura Van Puymbroeck